lundi 13 mai 2013

Le romantisme noir / L'ange du bizarre au Musée d'Orsay

5 mars - 23 juin 2013


A la fin du 18ème siècle, le goût du fantastique et du macabre irrigue les arts européens. Réaction aux Lumières, ce mouvement bouscule les conventions sociales, morales et esthétiques. Né de la tourmente révolutionnaire, ce "fleuve noir" n'a de cesse de se nourrir des inquiétudes du temps, réactivé, à la fin du XIXe siècle, par les symbolistes puis, entre les deux guerres, par les surréalistes.
Le roman de "monstres" naît en Angleterre, lorsque Horace Walpole publie, en 1764, Le Château d'Otrante. Cette intrigue, dans laquelle s'affrontent despotes  et apparitions, remporte un énorme succès. Elle influence le roman gothique, dans lequel s'inscrivent Frankenstein, de Mary Shelley (1818), et Dracula, de Bram Stoker (1897). 
Le peintre suisse Johann Heinrich Füssli explore les abîmes de l'âme. Il s’inspire de Shakespeare et de John Milton, donnant corps à des visions d'épouvante. Dans Cauchemar, il laisse libre cours à ses propres fantasmes. La toile représente une jeune femme en proie aux démons de la nuit. Exposée à Londres en 1782, elle provoque le scandale. Le cauchemar imprègne les œuvres de William Blake. Dans les années 1800, il jette sur la toile un bestiaire, fruit de ses hallucinations. Au 19ème siècle, le symboliste français Odilon Redon explore la profondeur des rêves, dans de mystérieuses gravures, empreintes de spiritisme. 
Les films d'horreur regorgent de scènes angoissantes. S'appuyant sur les classiques de la littérature, ils doivent aussi beaucoup à la peinture. Dans Frankenstein, de James Whale (1931), la mariée, étranglée, laissée agonisante sur son lit, est une citation directe du tableau de Füssli. 
 Quoi de plus horrible que la vision de ces deux hommes nus engagés dans un violent corps-à-corps? L'un plante ses dents dans le cou de l'autre, tandis qu'un démon au sourire grimaçant observe la scène. Dante et Virgile aux Enfers fut exécuté en 1850 par le Français William Bouguereau. Depuis le début du XIXe siècle, nombreuses sont les représentations de cannibalisme ou d'actes contre nature. Vers 1836, Delacroix peint Médée étouffant ses enfants. S'inspirant d'un événement contemporain, Le Radeau de la Méduse, réalisé en 1819 par Théodore Géricault, met en scène le destin d'un navire naufragé dont l'équipage avait fini par s'entre-dévorer pour survivre.

En 1799, Goya avait intitulé l'une de ses gravures : "Le sommeil de la raison engendre des monstres". Cet enthousiaste partisan des Lumières allait déchanter, à mesure que la Révolution française basculait dans la terreur. En 1808, l'Espagne est envahie par les troupes napoléoniennes. Dans Les Désastres de la guerre, l'artiste espagnol décrit les horreurs que subissent ses compatriotes. Ses eaux-fortes dénoncent la barbarie, cadavres réduits en pièces, femmes violées, enfants assassinés.
A la fin du 19ème siècle apparaît le thème de la femme fatale. Les symbolistes ressuscitent les grandes héroïnes vénéneuses de l'Histoire, Salammbô, Méduse, Cléopâtre. A l'image de cette Salomé que Gustave Moreau représente en 1893, dans une peinture à l'huile intitulée La Débauche. Le développement de la prostitution et des maladies vénériennes, fléau de l'époque, n'a fait qu'exacerber les imaginaires. Dans son tableau, Le Péché, datant de 1893, l'Allemand Franz von Stuck représente une Eve scandaleuse au regard provocateur,. En 1916, le Norvégien Edvard Munch livre dans son tableau Vampire une version moderne de la femme viciée. Il peint une femme aux cheveux rouge sang, se penchant sur un homme pour le mordre. Certains artistes pousseront encore plus loin la perversité, marqués par. 
Les surréalistes redécouvrent les écrits sulfureux de Sade. Les poupées désarticulées que met en scène Hans Bellmer dans ses photos sont les héritières de la tradition libertine.
Les paysages de sabbats sont plus inquiétants encore, car ils s'appuient souvent sur des lieux réels. Saisis au clair de lune, comme le rivage peint en 1836 par l'Allemand Caspar David Friedrich, ou sous la brume, par temps d'orage, ils sont généralement vides de toute présence humaine. Et provoquent ce que le philosophe Edmund Burke, théoricien du sublime, appelle, en 1757, une "horreur délicieuse".  
En Allemagne, en Suisse ou en Angleterre, les romantiques affectionnent le spectacle des grottes et des gouffres qui plongent dans les entrailles de la Terre, symbolisant la descente aux Enfers. Mais aussi celui des ruines, qui exacerbent la sensation de solitude des châteaux, cimetières ou cloîtres, évocateurs d'enfermement. Les surréalistes y seront particulièrement sensibles, à commencer par Max Ernst, qu'inspirent les forêts sombres et mystérieuses de Friedrich.  
Les films de Friedrich Wilhelm Murnau et de Fritz Lang regorgent de sous-bois obscurs, de scènes de brouillard et ciels menaçants. Une séquence célèbre du Chien andalou, tourné par Luis Buñuel en 1929, ressemble étonnamment au clair de lune de Friedrich, lorsque la lame de rasoir tranche un œil. 








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