5 mars - 23 juin 2013
A la fin du 18ème siècle, le goût du fantastique et du macabre irrigue les arts européens. Réaction aux Lumières, ce mouvement bouscule les conventions sociales, morales et esthétiques. Né de la tourmente révolutionnaire, ce "fleuve noir" n'a de cesse de se nourrir des inquiétudes du temps, réactivé, à la fin du XIXe siècle, par les symbolistes puis, entre les deux guerres, par les surréalistes.
Le roman de "monstres" naît en Angleterre,
lorsque Horace Walpole publie, en 1764, Le
Château d'Otrante. Cette intrigue, dans laquelle s'affrontent despotes et apparitions, remporte un énorme succès. Elle influence
le roman gothique, dans lequel s'inscrivent Frankenstein, de Mary Shelley (1818), et Dracula, de Bram
Stoker (1897).
Le peintre suisse Johann Heinrich Füssli explore les abîmes
de l'âme. Il s’inspire de Shakespeare et de John Milton, donnant corps à des visions d'épouvante. Dans
Cauchemar, il laisse libre cours à ses propres fantasmes. La toile
représente une jeune femme en proie aux démons de la nuit. Exposée à Londres en
1782, elle provoque le scandale. Le cauchemar imprègne les œuvres
de William Blake. Dans les années 1800, il jette sur la toile un bestiaire,
fruit de ses hallucinations. Au 19ème siècle, le symboliste français Odilon
Redon explore la profondeur des rêves, dans de mystérieuses gravures,
empreintes de spiritisme.
Les films d'horreur regorgent de scènes angoissantes.
S'appuyant sur les classiques de la littérature, ils doivent aussi beaucoup à
la peinture. Dans Frankenstein, de James
Whale (1931), la mariée, étranglée, laissée agonisante sur
son lit, est une citation directe du tableau de Füssli.
En 1799, Goya avait intitulé l'une de ses gravures :
"Le sommeil de la raison engendre des monstres". Cet enthousiaste
partisan des Lumières allait déchanter, à mesure que la Révolution française basculait dans la terreur.
En 1808, l'Espagne est envahie par les troupes napoléoniennes. Dans Les Désastres de la guerre, l'artiste
espagnol décrit les horreurs que subissent ses compatriotes. Ses eaux-fortes
dénoncent la barbarie, cadavres réduits en pièces, femmes violées, enfants
assassinés.
A la fin du 19ème siècle apparaît le thème de la femme
fatale. Les symbolistes ressuscitent les grandes héroïnes vénéneuses de
l'Histoire, Salammbô, Méduse, Cléopâtre. A l'image de cette Salomé que Gustave Moreau représente en 1893, dans
une peinture à l'huile intitulée La Débauche. Le développement de
la prostitution et des maladies vénériennes, fléau de l'époque, n'a fait
qu'exacerber les imaginaires. Dans son tableau, Le Péché, datant de
1893, l'Allemand Franz von Stuck représente une Eve scandaleuse
au regard provocateur,. En 1916, le Norvégien Edvard Munch livre dans
son tableau Vampire une version moderne de la femme viciée. Il
peint une femme aux cheveux rouge sang, se penchant sur un homme pour le
mordre. Certains artistes pousseront encore plus loin la perversité, marqués
par.
Les surréalistes redécouvrent les écrits sulfureux de Sade. Les poupées désarticulées que met en scène Hans
Bellmer dans ses photos sont les héritières de la tradition
libertine.
Les paysages de sabbats sont plus inquiétants encore,
car ils s'appuient souvent sur des lieux réels. Saisis au clair de lune, comme le
rivage peint en 1836 par l'Allemand Caspar David Friedrich, ou sous la brume,
par temps d'orage, ils sont généralement vides de toute présence humaine. Et
provoquent ce que le philosophe Edmund Burke, théoricien du
sublime, appelle, en 1757, une "horreur délicieuse".
En Allemagne, en Suisse ou en
Angleterre, les romantiques affectionnent le spectacle des grottes et des
gouffres qui plongent dans les entrailles de la Terre, symbolisant la descente
aux Enfers. Mais aussi celui des ruines, qui exacerbent la sensation de solitude
des châteaux, cimetières ou cloîtres, évocateurs d'enfermement. Les surréalistes y seront particulièrement sensibles,
à commencer par Max Ernst, qu'inspirent les forêts sombres et
mystérieuses de Friedrich.
Les films de Friedrich Wilhelm Murnau et de Fritz Lang regorgent de
sous-bois obscurs, de scènes de brouillard et ciels menaçants. Une séquence
célèbre du Chien andalou, tourné par Luis Buñuel en 1929, ressemble étonnamment
au clair de lune de Friedrich, lorsque la lame de rasoir tranche un œil.
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