lundi 13 mai 2013

Actualités : Expo Keith Haring au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris


Keith Haring The Political line 19 avril / 18 août 2013

Simplistes, les petits personnages peints par l'artiste Keith Haring dans le métro new-yorkais? Engagés, répond la double exposition «Keith Haring, the Political Line», au musée d'Art moderne et au Centquatre, à Paris.
Son code graphique est composé de symboles simples destinés à se faire comprendre du public. Exemples.
Le bébé radiant. Kaith Haring aimait les enfants, leur gentillesse, leur innocence. « Son bébé radiant, c'est l'homme en devenir qui dégage de l'énergie vitale autour de lui», précise la commissaire de l'exposition, Odile Burluraux.
Le chien. Cet artiste de rue s'est mainte fois confronté à la police et aux tribunaux, en exerçant son art sur les murs du métro. «Le chien, c'est tout ce à quoi il tentait d'échapper : l'autorité, la violence, la domination et la répression de l'état policier.»
La pyramide. C'est le passé, «une sorte d'âge d'or pour celui qui passait, étant enfant, ses dimanches matin au Metropolitan Museum de New York».
La centrale nucléaire et l'ordinateur. Ce sont les dangers qui nous guettent. «Keith Haring remplace parfois la tête de ses personnages par un ordinateur, comme s'il pressentait que ce dernier allait un jour remplacer notre cerveau.»
La croix. La dimension religieuse est là. Plus tard, elle évoquera la maladie. «Elle sert aussi à percer les entrailles, afin de laisser passer les chiens», note Odile Burluraux, pour qui le trou dans le corps du bébé radiant représente «une manière pour l'homme de s'accommoder des lois, des interdits et des limitations».

Interview Paris-Match de Jean-Charles de Castelbajac

Comment avez-vous connu Keith Haring ?
Jean-Charles de Castelbajac. Par l’intermédiaire de Claude et de Sydney Picasso. C’était en 1987. Keith Haring voulait offrir un de mes manteaux “Teddy Bear” à Madonna. J’étais assez populaire dans le milieu du hip-hop en raison de mon travail sur des motifs “cartoons”. Lorsque Keith est arrivé, ça a tout de suite été l’effervescence dans mon atelier. Il avait une sorte d’aura, une façon assez rare de toucher les gens avec grâce, par sa simple présence. Et paradoxalement, une forme de timidité que je partageais avec lui. Nous sommes tout de suite devenus amis. Comme lorsqu’une amitié naît instantanément quand on est enfant.
Comment s’est-elle développée ?
Chaque fois qu’il était à Paris, il ­venait chez moi. Il a très vite fait partie de la famille. Il adorait mes enfants, et réciproquement. Keith avait fait un dessin sur le mur de ma salle de bains, dans mon ancien appartement. On y voit des petits bonshommes à queue de poisson, sautant dans l’eau, en ronde, avec des dauphins. J’y lis l’éternité, le passage de la vie à la mort, la résurrection, la spirale éternelle. J’ai démoli ma salle de bains à coups de burin pour pouvoir l’emporter. C’est un dessin prémonitoire, daté de décembre 1989. Keith est mort quelques mois après. Je me souviens aussi d’un après-midi ­entier qu’il a consacré à peindre, sur les grandes jarres de mon salon. Mes ­enfants le regardaient, fascinés. Lui s’amusait comme un fou. A d’autres moments, Keith leur a appris à jouer aux cadavres exquis. Ils y passaient des heures ! Keith se moquait un peu de moi car j’étais plus timoré, en retenue. Il me disait souvent : “Mais vas-y, Jean-Charles, lâche-toi !” Comme il était curieux de tout, je lui racontais la ­bataille d’Azincourt par exemple. Il était avide de connaissance. Et moi, j’aimais bien raconter.
Parlait-il de sa vie de famille ?
Non. Keith se livrait rarement sur sa vie. Je sais qu’il a connu de vrais Noëls, des vacances en famille. Mais j’avais senti que mon appartement où je vivais avec ma femme et mes trois fils, et où je recevais de nombreux ­artistes, l’attirait beaucoup. Tous les peintres qui avaient une vie rock’n’roll appréciaient ce cocon. Basquiat s’endormait parfois dans le lit de mon fils et Keith aimait aussi cette atmosphère.
Comment vivait-il sa célébrité ? 
Elle ne changeait en rien son comportement. Au cours de cette première journée, il a fait une quinzaine de ­dessins. Pour mes assistants, pour l’intendant sri lankais de la maison, pour qui le lui demandait en fait. Keith était très généreux. Jamais il ne lui serait venu à l’esprit de refuser un dessin à quelqu’un au prétexte qu’il était un artiste très coté. Jean-Michel Basquiat était aussi comme ça. A cette différence près qu’il y avait chez lui une immense ­fêlure, une tristesse infinie, une mélancolie abrasive toujours présente. A l’inverse, et même s’il se savait déjà atteint du sida, Keith irradiait un élan de vie extraordinaire. Et sa peinture en témoigne.
Quelle était sa relation avec Basquiat ?
Il existait une vraie ­estime. D’abord parce qu’ils avaient tous les deux un socle commun : la rue. Le style des graffeurs est très proche de celui du Keith des débuts : des lignes pures, l’utilisation de la craie... On commence à voir le “radiant”, ces petits traits qui entourent un personnage, dès 1981. Mais leurs vies étaient très différentes. Au contraire de Keith, Basquiat avait connu une enfance chaotique. Dans les années 80, il y avait à New York une telle ébullition ! Tout le monde se connaissait. J’y croisais ­Mapplethorpe, Nan Goldin, Cindy Sherman, etc. L’univers de la mode commençait à s’imbriquer avec ces artistes. Les gens se ­demandaient si c’était de l’art ou de la mode. Karl Lagerfeld m’a dit récemment : “Jean-Charles, la grande question est de savoir si l’art est à la mode ou si la mode est un art.” On a la réponse aujourd’hui. Un artiste comme Keith n’a pas été le moindre dans cette abolition des frontières.
Etait-il ami avec Andy Warhol ?
Absolument. Ce dernier avait l’intelligence de s’approprier la jeune ­génération pour susciter des collaborations et rester en phase avec son époque. Cela participait à son renouvellement. Warhol en nourrissait davantage une excitation intellectuelle qu’une rivalité.
Théorisait-il sur son art ?
Il ne regardait pas le nombril de son art, mais il était conscient des changements qui s’opéraient en lui. Quand, en 1987, il a peint gratuitement la fresque sur un mur de l’hôpital Necker pour égayer les petits, on sentait qu’il était à une croisée. Entre le street art originel et une œuvre plus mature, même si ce n’est pas le mot juste. Il y avait des aplats de couleur, des traits qui reviennent sans cesse. Il allait vers quelque chose de plus abstrait.
Comment travaillait-il ?
Il venait de l’univers musical du hip-hop et en mettait dès qu’il travaillait. Ce n’était pas du tout mon truc, mais mes fils adoraient… On sent d’ailleurs ce rythme dans son travail. Se fiant à son intuition, il n’effectuait ­jamais d’esquisses et peignait à la ­vitesse du son. J’espère qu’il y aura de la musique à son exposition parce que c’est essentiel dans l’élaboration de son œuvre. Ce n’est pas un hasard si on ne compte plus le nombre de pochettes d’albums réalisées avec les œuvres de Keith Haring. Même s’il ne faisait pas de musique, c’était un artiste musical.
Avait-il une vraie culture artistique ?
Enorme ! Keith, le petit gars de Pittsburgh, avait fait des études dans une des meilleures écoles d’art new-yorkaises. Il ondulait d’une rive à l’autre, de la haute à la “basse” culture ; des maîtres classiques aux tagueurs du métro new-yorkais. Il était bluffé par l’art brut de Dubuffet et les toiles surpeuplées de bonshommes d’Alechinsky. Et il pouvait aussi bien vous parler de Dürer que de Hopper. Keith avait aussi un vrai attachement à la culture pop américaine qui allait de Raymond Loewy, créateur des logos de Coca-Cola ou Lucky Strike, à Disney. Cela l’a beaucoup influencé. Avec ses silhouettes auréolées de petits éclairs, son œuvre, reconnaissable entre mille, est aussi devenue un logo qui n’a besoin d’aucune mention pour être identifié.
Avait-il le sens du business ?
Il était trop généreux pour avoir le sens des affaires ! Mais aujourd’hui Keith aurait été un peintre totalement dans son époque. Désormais, si l’artiste n’est pas aussi entrepreneur, il n’existe pas. Je pense à Koons, Damien Hirst... Il ne peut pas fonctionner autrement, ou alors il vit dans la marginalité totale. Keith Haring et les gens de sa génération sont les derniers représentants de ces artistes de l’utopie, qui vivent un peu dans leur monde. Il pensait que son art pouvait sacraliser les choses les plus humbles, les plus usuelles. Mais pas dans un but commercial.
On lui a pourtant reproché un certain mercantilisme…
C’est une erreur totale ! On confondait mercantilisme avec démocratisation. Quand il a ouvert son Pop Shop dans SoHo en 1986, c’était un scandale. Un artiste ouvre sa boutique ! Pourtant, son idée était toute simple et sincère : sortir l’art du musée pour le faire descendre dans la rue. Il a fabriqué des badges, des casquettes, des tee-shirts, des porte-clefs, des posters… Dans le droit-fil du pop art, Keith produisait de l’art en série pour répondre à la mécanisation de la société. Une manière de laisser à la portée de toutes les bourses une œuvre dont les prix commençaient à flamber. Keith a transformé son art en label pour qu’il soit vraiment vivant, à la portée du plus pauvre, du plus humble et non pas pour gagner des millions ! Il avait compris que l’art allait devenir un tsunami. Et peut être notre seule source d’espérance.
Pourquoi, selon vous, est-il toujours aussi populaire ? 
Parce que son œuvre transpire la lumière. L’art de Keith, c’est l’ébullition de la vie. Il y a une forme d’accessibilité universelle et intemporelle. C’est l’artiste idéal aujourd’hui pour tous les produits. Des personnages reconnaissables par tous, sans aucune ­barrière, et applicables sur tout. Son “Radiant Baby” ne perd pas son sens s’il est apposé sur une paire de baskets. Keith Haring souhaitait que son art ­devienne le révélateur de celui qui va le porter.
Avez-vous parlé avec lui de la mort qui approchait ?
On ne l’évoquait pas. Tout comme avec Robert Mapplethorpe et d’autres amis que le sida m’a aussi enlevés. Leur volonté était que la vie continue. Même malades, ils étaient inépuisables... J’ai appris la mort de Keith lorsque je revenais de Tokyo, en lisant le “Herald ­Tribune” dans l’avion. Deux jours après, j’ai trouvé sur mon bureau un paquet en provenance de New York. C’était le dessin de Keith pour l’invitation de mon prochain défilé. Je lui avais souvent ­demandé de collaborer avec moi, mais je n’avais jamais eu de réponse. Ce projet longtemps repoussé arrivait là, à cet instant, au lendemain de son décès. Sur cette affiche, le “Radiant Baby” a grandi. Il serre le vide dans ses bras. Je l’ai fait imprimer sur mes cartons d’invitation. Ainsi Keith Haring était-il bien vivant.
Que vous reste-t-il de lui ?
Il est entré dans ma vie comme une tornade et n’en est jamais sorti. Son ­influence sur ma vie et ma façon de travailler est encore prégnante aujourd’hui. Réellement.









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